Obsolescence programmée: bug siège guidon

Je viens d'achever une quête de 6 mois et 70 km depuis mon retour en France: trouver les pièces qui me manquent pour réparer un vélo qui a un quart de siècle. Bref, je lutte contre l'obsolescence du haut de ma Rossinante mécanique.
Mes 2 vénérables destriers pré obsolescence
Ces vélos Peugeot, made in France (dans le texte) ce sont vu arrêtés de fabrication à cause de la production bas de gamme made in China de la grande distribution (Auchan, Carrefour, Go Sport, Decathlon).

Mon Izoard dispose toujours de son infatiguable groupe RX100 de Shimano, par contre l'autre ayant fortuitement rencontré des gitans a vu ses étriers de freins remplacés par des étriers de freins bas de gammes.

Pourquoi je roule en cadre acier qui a dépassé sa date prévue d'usure pour le cadre ? (les aciers n'ont jamais été prévus pour rouler aussi longtemps; leur qualité physique se dégradant leur optimum de confort est prévu pour 12 ans).

Parce que je peux les acheter à pas cher et les réparer car tout le vélo a été pensé pour. Je fuis comme la peste les composantes dures à changer/réparer/régler et les cadres non pensés pour une réparation facile ou qui participent par leur mauvaise conception à dégrader le vélo comme les freins à tirages centraux (V-brakes) qui en plus d'être casse burne à régler exercent une pression excessive sur les jantes entraînant leurs déformations.

Pourquoi je vous raconte tout ça? Parce que je viens de comprendre le problème.

J'ai fait 60km en vélo parce que je ne trouvais pas mes étriers de freins sur internet (de manière satisfaisante) et j'ai du me bouffer Pontoise à Paris (en vélo évidemment). En passant par l'un des raidillons les plus costauds de la banlieue (le fort de Cormeilles). Bref, une VRAIE quête.
Vue depuis la Frette Montigny

Je ne trouve pas mes freins à la longévité extrême quand ils ne sont pas volés, parce que personne d'autres les achète. Et heureusement que Paris est rempli de coursiers car cela assure marginalement la survie de certains ateliers.

Et donc, je me suis retrouvé dans un magasin de vélo qui du fait de son placement dans Paris avait les murs qui suintaient de l'intelligence de ses acheteurs en plein milieu d'un quartier intellectuel.


J'ai passé une heure à attendre. En une heure, le commerçant a fait 12€ de bénéfices avec 10 clients et 1 employé à charge payé le SMIC horaire (soit 24€/hr).

Je lui ai rapporté 3€ avec ceci:
My precious

50% des clients venaient pour acheter. Tige de selle, et freins et autres pièces simples. 10 minutes étaient nécessaires pour savoir quelles pièces étant donné le flou des connaissances des clients sur leurs vélos.

50% des clients n'en étaient pas. Incapables de visser un écrou, de gonfler ou changer un pneu les clients faisaient juste perdre du temps au vendeur. En espérant une réparation gratuite qui si elle ne l'était vaudrait une remarque désagréable sur google synonyme de baisse de la clientèle.

Sur les clients qui achetaient, l'un reprenait son vélo de ville furieux que la réparation n'aient pas coûté 20€ mais 50€ car ses roues étaient voilées.

Non qu'elle fût musulmanes et marchaient de traviole du fait de la burqua sur leurs yeux, je le précise, mais bien parce que les rayons du fait de passage répétés sur des trottoirs en mode barbare les plient, et que rouler sur une roue voilée ne résulte que dans son voilage encore plus intégral comme un léger voile qui finit par devenir un niqab.

Le dévoilage de roue est au vélo ce que le décrottage de sabot est à l'équitation ; une activité qu'il faut faire régulièrement soit même pour assurer le bon entretien de son destrier. Geste simple si il n'est pas fait régulièrement, il s'aggrave entraînant la transformation d'une perte de 5 min de temps en temps à l'achat de la roue entière avec le coût de main d’œuvre.

Le passage des trottoirs nécessite un petit geste technique qui consiste à ralentir, faire sauter la roue avant sur le trottoir et l'enjamber avec gentillesse. On peut sans défourcher franchir jusqu'à 10 cm de dénivelé.

Je m'égare hagard et n'arrête guère de dégoiser.

Voilà, ça fait 33 ans que je roule en vélo. J'ai appris à les réparer un peu en regardant Mr Laurent (le vieux réparateur de quartier quand j'étais gosse) faire, et aussi en essayant moi même beaucoup. J'ai suis certes maître es science, mais mes cours de mécanique du point ne m'ont pas appris à devenir un pro du tournevis ou de la clé anglaise.

Les vélos de l'époque pré-obsolescence (aka pré-grande distribution) étaient simples.

Quand Auchan vendait ses vélos à 100Frs là où un peugeot valait 2000Frcs personne ne comprenait pourquoi même sans argent je refusais de les acheter: les filtages ne tenaient qu'une fois. Une visse dévissée était irréversiblement non revissable. Comme un meuble ikéa dont les mêmes clients sont si friands. Et c'est ainsi que les Peugeots sont morts; non de par une volonté délibérée de faire des vélos obsolètes, mais par le refus des clients d'acheter des vélos réparables. Pourquoi? Parce que ils pensaient que la réparation c'étaient pas leur problèmes, ils avaient les réparateurs comme Mr Laurent. Pourtant ses mêmes acheteurs aiment en «meeting» avec leur «managers» évoquer ce que les comptables appellent le coût total d'un produit, celui qui inclut l'achat ainsi que les coûts liés à sa maintenance sur sa durée d'utilisation prévisible. 

Mr Laurent a du faire face à une montée de vélo plus dur à réparer avec des clients irascibles refusant de payer le surcoût en temps dû à la qualité de erratique de leurs vélos.

Mr Laurent a fermé. Personne ne voulait acheter ses vélos trop chers et tout le monde finissait par préférer décathlon blindés de réparateurs au SMIC qui préféraient remplacer des pièces entières que de perdre du temps sur leurs vélos de merde.
Localement l'atelier réparation était en perte, mais globalement pour le magasin ça assurait l'image de marque de vélos fiables de réparateur aimables et compréhensifs et ça donnait confiance. Le premier actif d'une entreprise, c'est l'image que les gens s'en font. Decathlon faisait de la concurrence déloyale, mais un crime sans victime parce que les victimes sont heureuses de cette situation n'est pas un crime.

25 ans plus tard qu'est-ce qui a changé?

C'est la mode des fixies, tout le monde a et veut faire du vélo.

S'asseoir a une terrasse avec des néos athlètes urbains me fait sentir comme un étron au milieu de la moquette : que sais je de la chasse de mon guidon, de la supériorité du frein à disque sur le tirage central, du roulement fixe sur le libre, de l'impact sur l'inertie de 15g de pneus en plus?  De la supériorité du carbone sur les cadres manganèse ou titane.

Rien. Je roule toujours avec les mêmes vélos car j'ai convergé par plaisir et fainéantise vers des modèles de course pré 2000 dont j'aime la conception, l'assise, la maniabilité, la robustesse. 

Rien, j'y connais certes rien, mais je sais que je veux des Shimano à doubles pivots brevetés et non des pivots simples parce que sinon au fur et à mesure du temps ils se décentrent et frottent contre la jante. Mon savoir se limite à mon expérience. Je ne parle pas des vélos comme un livre.


La seule chose que je sais c'est que plus aucun réparateur ne sait mettre de fond de jante: c'est 90% de l'origine de mes 10 dernières crevaison. Un geste que j'ai vu Mr Laurent faire : c'est simple mais ça demande du soin et de la patience ainsi que des bandes taillées droites. Et le temps ... c'est de l'argent.

Je sais aussi que ces réparateurs à la petite semaine ne dureraient pas longtemps si et seulement si les clients au lieu de faire savoir qu'ils n'y connaissent rien se retroussaient leurs manches pour apprendre à faire avec leurs doigts tout fins d'intellos des tâches aussi simples que gonfler leurs pneus, changer la guidoline, gaines et cables, chaines...  Si ils le faisaient, ils comprendraient que le temps c'est de l'argent, et qu'autant par leurs choix de vélos chers et ineptes que par le temps non rémunérés qu'ils font perdre à des artisans sous payés du fait de leurs choix ils condamnent les réparateurs à crever la gueule ouverte sous leurs flots de récriminations injustes quand aux coûts des choses.

Notre éducation survalorise la mauvaise éducation, le mépris du savoir faire des métiers manuels aux profits du faire savoir des ingénieurs et commerciaux. Par exemple, si je voulais m'installer professionnellement, non seulement je devrais passer un examen validant que je connais non les gestes, mais les mots du métier, mais en plus il me faudrait acheter des murs, et payer pour m'enregistrer avec le bon code APE. Choses qu'étant fauché comme les blés du Vexin en ce moment je ne peux faire. Pourtant, je peux réparer mon vélo.

L'obsolescence est certes programmée, mais non par la production, mais par les choix des consommateurs qui entraînent que ma lutte contre l'obsolescence me pousse à faire 60km pour trouver des pièces à 20€.

Il n'y a pas de mal à ne pas savoir faire, mais confondre ses connaissances avec son savoir faire et imposer du fait du statut conféré à des artisans et producteurs des prix déraisonnables entraînent un marché où le plus filou gagne. L'obsolescence «programmée» n'est pas due uniquement aux vendeurs, mais essentiellement aux acheteurs dont la myopie intellectuelle derrière les lunettes roses de niveaux de diplômes élevés entraîne une mésestimation des coûts. Et l'argent c'est le nerf de la guerre contre les mauvais acteurs. 

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