Le droit à une deuxième vie

Le gadjo qui m'a appris à faire du vélo c'était un condé en chef.

Pour vous dire à quel point je le suis redevable, mon frangin quand il a vu que son minot savait pas faire du vélo sans roulette à 5 ans il a payé une coach à 100$/hr. Si j'ai pas la honte après ça qui me colle à la peau comme un étron mal démoulé au cul, contez moi comment je devrais me sentir?

Même si je me suis rattrapé par la suite, je suis un attardé mental du biclou, j'ai vraiment commencé à faire du vélo sans roulette à 9 ans.

À 10 ans en CM2 ma prof nous proposait de faire du vélo les mercredis. Hipster avant l'heure j'avais le vélo que mes 2 frères avaient eu avant moi: un hélium (peugeot évidemment) à vitesse unique et je me coltinais les cotes bien salées du Vexin: le Perchay, Épiais Rhus, Vigny, Nesles, Valmondois. Je les ai bouffé avec un fixie. Avec son mari; Jacky.

Cette histoire a évidemment aucun autre rapport avec le vélo que celui qui me trotte dans la tête.

Le Jacky m'a dit ma deuxième année où je continuais à faire du vélo (contre toute logique puisque j'étais passé chez les grands au collège) : on devrait tous avoir le droit à une deuxième vie.

Je pense pas qu'il parlait de sa femme, même si j'ai jamais eu un grand amour pour mes profs (sauf la toute sèche que j'ai eu en CP).

Il parlait de la vie pro.

15 - 18 ans à faire le même métier ça use, même si ce métier est votre passion. En fait surtout si c'est votre passion.

À un moment sans vouloir spoiler les plus jeunes, en 18 ans, t'as du mal à être surpris. T'as montée une cote qui était un sacré raidillon, tu es plutôt content, mais on te dit que tu fais de la merde. C'est pas que t'as fait de la merde, c'est juste le système. Pourquoi ? Je m'en contrefous. La seule chose que ton horizon pro te propose c'est de reparcourir les circuits que t'as déjà fait 100 fois. T'en as ras le cul. Surtout que tu vois d'autres routes et horizons et que t'as encore la patate dans les guibolles, et que tu as toujours le sang du gamin en toi qui coule dans tes veines. Mais on te dit que t'es trop vieux et que t'as plus le droit de rêver.

Merde, t'es pas mort, t'es encore en vie, et t'en as marre de toujours la même chose.  Et putain, t'as le droit de rêver!


Alors, en fourbe sans prévenir personne tu prends les routes que l'on te dit interdites et tu vois qu'elles sont bonnes. Et tu te demandes; qu'est ce qui m'interdit de les prendre?

L'allégorie vélo t'as perdu?

Faisons une allégorie vélo dans l'allégorie vélo.

Aujourd'hui après des années à me faire chier dans le vexin à faire toujours les mêmes circuits j'ai fait un tour avec un poteau prof. Ça fait des années que j'avais pas fait le circuit Pontoise - Nesles. Et c'était cool. Voilà, fin de l'allégorie dans l'allégorie.

Mais c'est pas le point. Le gars (avec qui j'ai fait du vélo) me disait j'en ai ras le cul d'être prof, j'adore enseigner, c'est ma passion, mais c'est tout ce qui est autour qui me calice. Le système et son absurdité, mes collègues et leur attitudes.

J'aime ce que je fais, mais pas le cadre dans lequel je le fais. Et je l'ai regardé ; il avait les yeux de Jacky, et aussi de Michel et de Manu.

Michel, c'est un ancien collègue déménageur qui s'engraine facile avec tout le monde. Quand il est arrivé journalier il m'a parlé de faire ses heures, et de ses faire payer ses heures supp. J'ai pas osé lui dire qu'il rêvait debout, pour 7h journalières (on avait des contrats au jour) on en faisait entre 9 et 16 payé 80€ par jour (avec 10 sous la manche) sans certitude d'embaucher le lendemain.


Je suis pas un salaud; il avait les bras comme mes cuisses et le fusible court. Tu contredis pas les costauds qui sont instables quand ils rêvent. Le gars il avait passé ses 12 dernières années à faire le planton sans bouger pour rassurer le quidam dans les supermarchés et chantiers. Même pas le droit de prendre une pause pour aller chier ou boire au point que le jour ou pour 12€/hr on lui a imposé de rester en place 10 heures d'affilées il l'a fait par sens du devoir. Il a poussé la passion du métier jusqu'à en chier dans son benne pour son boulot. À toi le bourgeois reconnaissant te devrait une médaille mon poteau.

Le prix de ta sécu à toi le quidam qui aime l'état d'urgence qui dure depuis 20 ans c'est 10% de la population active payée à faire le planton et/ou contrôler les accès. Et c'est ni l’hôtesse d'accueil ni le costaud de service qui touche le salaire de ta peur : c'est leurs boss.

Parlons de mon vélo-poteau. C'est un bon prof, il refuse de transformer le sport en pugilat. Il aime le port comme moi : par pour la compète, mais parce que c'est le fun, alors il essaie d'expliquer aux gosses que tu fais du pas sport pour être le meilleur, mais parce que d'une part ça te plaît et que d'autre part c'est quand même le fun d'essayer d'être le meilleur, mais qu'il y a une chiée de perdants et que tu le seras très certainement. Donc, il faut essayer, mais pas en faire une montagne. Quand tu fais le kéké à vélo, t'as toujours un vieux tout sec pour te coller la honte au détour d'une route de campagne malgré ton pédigré de compéte. Mais, est-ce que ça nous empêche de reprendre nos fidèles destriers d'aciers sur les routes verdoyantes de nos belles campagnes? Nietsky, on a beau être des loosers, on fait aussi du vélo parce que c'est le fun. Bref, il se fait engueuler car il refuse de classer ses élèves du plus fort au plus faible, ce qu'il trouve con et moi itou.


Bref, c'est cool de s'investir, mais faut pas en faire une caisse. C'est comme nos taffes.

Surtout que quand t'es passionné les boss, les parents d'élèves, les usagers, les clients considèrent que faire tes heures et vivre ta vie après les heures de travail  c'est interdit. Fais moi confiance toute fiche de poste évoquant tatati c'est ta passion c'est un marqueur comme quoi le patron il veut que tu bosses en extra pour gratis. Si t'es un cave t'auras l'avancement et la reconnaissance. Apparemment être passionné ça veut dire que la merde tu aimes la bouffer au p'tit déj à la pelle et que t'en veux encore plus.

Raah, il y a toujours l'idiot du village pour lever la main et dire: tu parles beaucoup des autres, mais c'est-y pas une manière de pas causer du tézigue?

Ben c'est que l'idiot c'est pas un crétin. Toutes les histoires des autres font échos en mon for à mon histoire peuchère.
 
Moi aussi je me bouffe ma crise de la quarantaine comme un bad trip sous diverses substances hallucinogènes. Et je me tâte à réclamer ma deuxième vie.

Au début, je pensais que l'herbe était plus verte ailleurs (et elle l'est), mais en fait c'est presque vrai sans l'être.

J'ai passé après la mort d'un pote 3 ans au Québec, je suis pas revenu uniquement à cause de trucs personnels, disons que l'herbe est plus verte, mais légèrement empoisonnée quand tu connais pas le coin. Ce que l'on peut résumer par la locution tu es toujours un peu l'arabe en france d'un autre quand t'es français à l'étranger, surtout quand t'es pauvre.

J'ai changé de pays et oui l'informatique en amérique du nord c'est un peu plus intéressant. Mais en fait, j'ai un problème avec le système: on fait des logiciels de plus en plus merdique, et ça me fait gerber. Pourtant, les entretiens ont jamais été aussi sélectifs. À croire que plus la sélection est forte, plus elle favorise les idiot(e)s. Je suis aussi peu sexiste que raciste : les femmes (et les divers) m'ont prouvé que la connerie était également répartie quelque soit les critères envisagés.


Je suis devenu déménageur parce que j'avais pas le choix (caillasse). J'ai arrêté de l'être par contrainte (pas d'apparte) et aujourd'hui je me pose une grande question: travailler à moins qu'au SMIC et m'amuser ou reprendre l'informatique?


En fait, mon coté aigri m'avait fait pensé que ce serait la même merde partout.

C'est vrai, mais c'est différent. J'ai kiffé que mon entretien d'embauche précaire renouvelé tous les jours consiste à être juste à l'heure.

J'ai aimé être débutant et être dans la même merde que les autres, et qu'on me dise c'est pas une compétition: on veut juste rentrer pas trop tard à la maison.

J'ai aimé progresser à nouveau, apprendre. J'ai aimé ne plus avoir à faire à des DRH et des directeurs techniques cons comme des burnes.

J'ai aimé que savoir si la ficelle ou le scotch (voir OOP vs programmation fonctionnelle ou impérative) soit moins importante que juste de faire le chantier correctement : vite et sans casser.

J'ai aimé mes collègues nouveaux bien plus que les anciens. Et je préfère la causettte à la pause ou avec le patron au dépôt de 30 secondes au interminables scrum.

À coté de ça à 10€/hr, vas-y louer un apparte quand les putains de proprios refusent de louer un apparte de 30 m² dans tes moyens parce que d'après eux c'est pas digne pour un couple. Putain, ma belle famille et leurs relations en Pologne ils savent à 6 dans un 36 m²! Laissez moi choisir comment je vis bande de cul terreux de gros putains de proprios. Avec mon salaire et ma capacité à accepter n'importe quel taffe je vous l'aurais payé vot' loyer à vous le couple de bobo qui ont eu comme seuls mérite d'avoir des parents riches  pour devenir proprio et qui en profitent pour me coller leurs snobismes/racismes dans la gueule.


Donc voilà le prix à payer pour une deuxième vie:  les préjugés des autres.


Mais bon, j'ai beau me tâter, j'ai mon coté haute société protestante éduquée qui me roucoule dans l'oreille: vis tu pour toi même ou pour faire plaisir à des gens que tu aimes probablement pas?

Bah, si je peux pas grailler et crécher, ça me fait chier, mais oui je vis vivre pour plaire à des gens que j'aime pas avec un goût de bile au fond de la gorge quand je dirais que je suis libre.

Et je me dis que je trouve étonnant qu'il y ait si peu de grogne et de gens qui posent des bombes contre une société aussi merdique et pour conclure je vais vous raconter une anecdote du papa de mon vélo-poteau.

Mon ami a trouvé les carnets de guerre de son daron qui pendant la 2é guerre a fait son service dans l'armée française et s'est battu à l'Isle Adam.

Pour faire vite : ils ont été capturé par les frisés qui leur ont dit de se rendre par eux même à leur prison à Argentueil (genre les mecs ils connaissaient le coin).

Et bien croyez le ou non, ils l'ont fait. Aucun n'a eu l'idée de rentrer chez lui ou de s'évader. Ils avaient été éduqué comme ça, à obéir.

Et, j'ai bien peur que nous sommes pareils. Et, je sais pas si je suis différent de ces gars.


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